Un regard par la fenêtre du dortoir indiqua à Braxton que le temps était au beau fixe... pour une journée hivernale. A savoir: nuages d'un gris clair nappant chaque parcelle de ciel, et fond de l'air très, très frai. Mais au moins, pas une seule goutte de pluie à l'horizon. La plupart des élèves devaient encore se terrer à l'intérieur de l'établissement, que ce soit à la bibliothèque, dans la grande salle... ou tout simplement au coin du feu. Il fallait dire que peu de courageux -téméraires- se risquerait dehors un tel après-midi. Un dimanche, en prime. Ce qui n'était pas plus mal, entre nous. Après leur long échange de mmails, Braxton et Emma s'étaient finalement donnés rendez-vous au parc, à l'endroit habituel. De cette manière, ils ne seraient pas dérangés et pourraient discuter en toute impunité. Emma prendrait sûrement des précautions magiques supplémentaires, pour que personne ne surprenne leur conversation plus que privée. C'était à ce fameux endroit, tout près du lac, que les deux adolescents avaient fomenté la plupart de leurs mauvais coups. Un petit coin calme entre les buissons, surplombé par un grand arbre majestueux qui étendait ses ramifications au-dessus d'eux. Le seul témoin ayant la permission, et le devoir, de les écouter…
Vêtu d'un simple jeans et d'une chemise à manches courtes, Braxton ne prit même pas la peine de se munir d'une veste. Parce qu'il ne faisait pas si froid que ça, et qu'il ne comptait pas spécialement rester longtemps... et aussi –mais ça, c’était moins classe- parce qu'il n'en avait plus aucune de propre. *hum* L’étudiant franchit les portes des dortoirs, salua quelques personnes d'un signe de tête, quelques autres par des sourires entendus, réservant ses clins d'œil aguicheurs aux jeunes demoiselles pour leur réchauffer le cœur. L'adolescent quitta ce nid confortable et douillet sans s'arrêter. Certains serpentards de sa promo lui lancèrent des regards interrogateurs, voire surpris, alors qu’il les dépassait tranquillement. Des regards que le grand blond ne comprit pas le moins du monde... Et ce n'est qu'alors qu'il avançait paisiblement le long des couloirs des sous-sols, que l'adolescent prit conscience de ce qui clochait... Tout ceux qu'il croisait étaient emmitouflés dans leurs blousons. Écharpes... et gants compris ?! Tous le regardaient aussi bizarrement, comme s'il était une bête de foire avec sa chemise ouverte et son cou dénudé. Malgré l'impression que le monde ne tournait plus rond, Braxton finit cependant par hausser les épaules, attribuant ce surplus de pelisses au caractère frileux des élèves de cette école. Il fallait dire que lui-même venait de contrées où cinq degrés en dessous de zéro était signe d'une chaude journée, en certaines saisons. Il ne lui vint pas non plus à l'esprit qu'il ressemblait vraiment à un extra-terrestre. A peine prêta t-il attention aux commentaires qu'on faisait sur son passage. Le jeune homme saisit juste au vol les mots "se la pète encore", "retourner dans son zoo" ou encore "il est trop beaaau !" et "je le veux !".
Nouvelle volée de marche, Braxton atteignait enfin le Grand Hall. Il déambulait avec sa nonchalance coutumière, alors qu'il savait qu'Emma l'attendait probablement déjà au lac... depuis un moment. Bah, qu'elle patiente un peu, ça ne lui ferait pas de mal. Et puis, après tout, c'était l’une de ses plus grandes qualités quand elle traitait avec lui.
Nullement essoufflé, notre vaillant serpentard arriva finalement devant les grandes portes. Pas trop tôt... Pourquoi cette école était-elle aussi grande, d’ailleurs ?! Ils auraient pu penser un peu aux fainéants dans son genre, ça leur aurait fait économiser des pierres !
Un sourire relevait doucement le coin de ses lèvres, en réponse à cette remarque... quand quelque chose fondit brusquement sur lui, le frappant au visage. Sous le coup de la surprise, Braxton s'effondra au sol, amortissant sa chute de ses bras, se tordant les poignets au passage. AH il était beau, l'instinct du bagarreur ! Jamais là quand on en avait besoin ! De quoi s’agissait-il encore ? Il n’avait attaqué personne en particulier, ces derniers temps, non ? Avant de lever les yeux vers son agresseur, le vert et argent porta lentement une main à sa joue. Qu'il retira couverte d'un peu de son propre sang. Il poussa un grognement contrarié...

"Merde..."

Sa pommette avait éclaté sous l'onde de choc du coup de poing. Ça faisait mal, bordel ! Une ombre s'étendit soudain au-dessus de lui. Braxton redressa la tête, un air qui se voulait indifférent pour tout expression. Alors qu'en réalité, intérieurement, il bouillait littéralement de colère. Son cœur pulsait violemment contre sa poitrine, comme s'il voulait transpercer ses côtes et bondir directement à la gorge de cet ingrat.

"Et ben, Terrouec, tu fais moins le malin à présent, hein ?! C'est propre au moins par terre ? Au pire, je pourrais toujours te faire lécher le pavage, je suis sûr que ça te plairait..."

Alàlà. Les méchants, toujours à parler. Et bla, et bla, et re-bla. C'était souvent ce qui les perdait d'ailleurs, dans toutes les séries policières moldues. Le seul souci pour le moment présent, c'était que Braxton n'avait aucune envie de se battre. Il allait voir Emma. Ce n'était pas pour qu'elle le trouve une fois de plus dans un état lamentable. A force, il allait devoir lui payer une rétribution pour toutes les potions qu'il avalait. Et ça risquait d’être un prix exorbitant, connaissant la demoiselle. Enfin, ce n'était qu'une petite vengeance de la part de cet idiot, aucune raison qu'il se montre déraisonnable. Et puis, les gryffondors avaient un certain sens de l'honneur. Sa respiration revenue à une norme plus commune, le jeune homme entreprit de se relever, pensant pouvoir disposer de ce moment de répit comme il l’entendait. L'autre ne lui en laissa pas le temps. Une douleur atroce lui traversa le côté, comme la pointe aiguisée d’une flèche, alors que le pied de son attaquant le heurtait violemment. Braxton retomba par terre, soumis à une pluie de coups. Son attaquant s’acharnait. Un éclat lumineux attira soudain son attention: les rayons de lumières filtrant par la porte d'entrée, venaient de lui révéler que le grand dadais qui le forçait à se protéger de ses bras... n'était pas un gryffondor.

"Oh, vraiment ?"

Les mots susurrés tout bas, entre deux grognements de douleur, vibraient d'une colère froide à peine contenue. C'était aussi un serpentard. Et qui plus est un serpentard de son "groupe", en prime... ! Bah voyons ! Habituellement, une close non officielle résidait entre eux: ils étaient de la même maison, et se devaient donc un minimum de respect. Ce qui signifiait: pas de bagarre. Et encore moins d'attaques en traître. Jusqu'à présent, par contrainte personnelle, Braxton s'était limité à de la simple défense, gardant l'image d'Emma en tête. Mais là... c'était un peu trop. Beaucoup trop, même... Évitant de justesse un énième coup de pied, Braxton roula sur lui même, fauchant au passage les jambes de son agresseur. Il tourna la tête dans sa direction, à présent complètement hors de lui. Et le regard que le jeune homme lança au traître, en cet instant, aurait suffit à faire griller un troupeau entier de moutons en pleine montagne.

"Tu vas me le payer..."

Les mots, crachés avec force en même temps qu'un peu de sang -en provenance directe de sa lèvre inférieure fendue- ressemblaient d’avantage au feulement d'un gros chat qu'à un son humain. Le visage de son ennemi devint soudain blême. Il pouvait, oui. Tremble, mon mignon. La brute se mit précipitamment à reculer, se traînant sur le sol de pierres froides. Comme s'il comprenait que ce qui allait lui arriver n'était vraiment pas enviable. La bouche fendue par un large un large rictus carnassier, Braxton bondit.

Bien Plus tard, en se remémorant la scène, l'adolescent ne se rappellerait pas exactement de ce qui s'était passé. Car à vrai dire, toute sa vision s'était alors voilée d'une sorte de brume rouge. Il ne saurait sûrement jamais non plus que ses pupilles étaient fendues comme celles d'un chat. Et son cerveau aura probablement occulté aussi le fait qu'il avait planté ses dents dans la gorge du serpentard à sa merci. Et qu’il s’était délecté du liquide chaud se rependant le long de son œsophage...

Sous les hurlements d'horreur de la foule d'élèves qui s'était amassée, un surveillant plutôt costaud finit cependant par arriver...

Quelque part, au fond de son propre esprit, ce qui était Braxton Terrouec regardait, complètement perdu, une entité étrangère se servir de son enveloppe charnelle. Il ne comprenait pas. Qu'est-ce que c'était que ça ?! Qu'est-ce qui se passait, bon sang ?! *Sortez-moi de là... ! Quelqu'un... N'importe qui... SORTEZ-MOI DE LA !*Et quand, enfin, il eut le courage de se rebeller vraiment, ses actions ne servirent à rien. Sa volonté avait beau se jeter sur elle, il avait beau lui hurler d'arrêter, supplier, pleurer, crier, la forme le rejetait en arrière sans concession, sans même prendre la peine de le toucher, le gardant à l'écart. Grondant que sa protection passait avant tout. Il n'avait plus le contrôle de son corps. Alors son esprit se recroquevilla sur lui-même, sanglotant. Il avait peur du noir. Et s'il ne se réveillait jamais ? Est-ce qu'ils allaient devoir le tuer ?

Enfin, une lumière tamisée commença à ramper vers lui. Braxton voyait deux images complémentaires percer le noir d'encre qui l'entourait. Ces deux fenêtres vers l'extérieur commencèrent à grossir, grossir. Comme si on lui enfilait un loup pour un bal masqué, et qu'il regardait au travers. L'adolescent eut vaguement l’impression qu'il se détachait du serpentard gémissant, pour retourner sa rage contre l'adulte venu les séparer. Et lorsqu'il reprit finalement conscience, un vif étourdissement l'atteignit. Surprise et incompréhension. Ses yeux se tournèrent vers son bras levé. Sa main était toute crispée, ses doigts écartés et recourbés, comme s'il avait eu des griffes. Elle lui faisait mal. Et ce goût métallisé qu'il avait dans la bouche ne lui disait rien de bon. Son estomac se retourna. Est-ce que c'était... du sang ?! Ses muscles le brûlaient. Comme s'ils avaient été obligés à faire des choses inhabituelles.
L'adolescent obligea tout d’abord sa main à se serrer en un poing, qu'il abaissa lentement, prudemment. Avec la bizarre impression que son monde pouvait de nouveau basculer s'il n'y prenait pas gare. Les gens, à une distance plus que respectueuse, le regardaient, les yeux ronds, silencieux à la manière d'une tombe vieille de plusieurs centaines d'années.
Coup d'œil au serpentard qui se tenait la gorge en gémissant, roulé en boule à même le sol. Braxton eut un haut-le-cœur. Ça lui suffit. Il ne voulait pas que son cerveau fasse la connexion. Il allait vomir.
Dans l'atmosphère étouffante qui suivit le combat, ou plutôt le massacre, le jeune homme marcha en direction de la sortie. S'intimant au calme, il faisait tout pour ne pas prendre purement et simplement ses jambes à son cou. Et ce n'est que lorsqu'il fut certain que plus personne ne pouvait le voir qu'il se mit à courir, ou plutôt à détaler, sous l'effet de la panique. Sans s'en rendre compte, le vert et argent se dirigeait vers le lieu de rendez-vous. D'ailleurs... qu'est-ce qu'il faisait ?! Il ne fallait pas qu’Emma le voit dans cet état. Morten lui avait dit que ce n’était pas bien... et il avait... il avait beaucoup de respect pour Morten. La tête lui tourna de nouveau. Il délirait. Il était presque arrivé quand son corps céda soudain. La main violemment plaquée contre le tronc d'un arbre, comme s'il cherchait à le déraciner par sa simple poussée, Braxton pencha la tête en avant. Et vomit tripes et boyaux. Il n'entendait plus rien, ne voyait plus rien. Il était couvert d'un sang qui n'était pas le sien, sa chemise déchirée. Il voulait juste tout oublier.

Braxton évoluait comme s’il était prisonnier d’un affreux cauchemar. Il se sentait malade, nauséeux, vidé de toute énergie. Il avait l'impression d'être embourbé dans les fils épais d'une immense toile d'araignée. Lorsqu'il avait entendu le bruissement tout proche des buissons, le jeune homme s'était dirigé vers le bruit, au radar, à la manière d'un zombi. Encore un truc qu'il ne supportait pas dans les films moldus d'ailleurs, les morts-vivants. Pour une personne extérieure, l'adolescent ne payait vraiment pas de mine: débraillé, quasiment torse nu sur la neige hivernale. Il tremblait, aussi. Mais il s'agissait plus d'un épuisement mental que d’une réaction physique au froid... Décidément, cette journée enchaînait les étrangetés.
Tout à son désarroi, Braxton ne reconnut pas la jeune fille qui lui faisait face. De toute manière, il se sentait trop en décalage avec la réalité pour que son cerveau enregistre les informations, et établisse les connexions nécessaires à son bon fonctionnement. L'adolescent fit un nouveau pas hésitant, puis s'immobilisa sous l'effet de la stupeur. Il avait le regard rivé sur une forme au poil hérissé, campée solidement sur ses pattes griffues, les crocs largement découverts. Mais... d'où sortait ce loup ?! Il n'aurait jamais du se trouver là ! En temps normal, ces bestioles vivaient dans une toute autre zone géographique... Quoique, avec tout ce qui s'était passé aujourd'hui, un phénomène irréaliste de plus ou de moins ne semblait pas si improbable que ça. Et d'ailleurs, sans qu'il comprenne vraiment pourquoi, le serpentard savait aussi qu'il ne s'agissait pas vraiment d'un loup. Il se dégageait de l'animal une forte animosité, comme en réponse à un danger... un danger ? Braxton n'avait même pas sa baguette sur lui.
Une courte seconde à peine venait de s'écouler. Le vert à argent allait reporter son attention de comateux sur la personne qui se trouvait là, quand, brutalement, quelque chose sembla bouger en lui, et troubla l'air tout autour de lui. Braxton sentit plus qu’il ne la vit la bête qui "s'extirpait" de son corps, s'arrachant à sa prison de chaire. Ça ne faisait pas mal... c'était... froid. Comme si on lui avait versé de l'eau glacée à l'arrière du crâne. Une sensation désagréable qui lui déclencha des fourmis dans les mains, alors que ses jambes s'engourdissaient. Incapable d'amortir le choc, l'adolescent tomba à genoux sur la neige molle.

Le félin avait réagi à l'instinct face au familier d'Emma. En réponse à l'écume menaçante que la louve expirait, au grondement mauvais qui sortait de sa gorge. Et aussi parce qu'il savait que cette entité n'était pas un animal normal, qu'elle était comme lui. Son propre humain était à découvert, sans aucune possibilité de retraite ou de défense. Incapable de se ressaisir. Ils étaient acculés. Alors il ne lui restait qu’une solution : l'attaque. Manger ou être mangé. Le léopard blanc moucheté de noir avait violemment projeté son énorme masse contre l'ennemi, le déséquilibrant...

Braxton, toujours à genoux dans la neige, était incapable de réagir. Il contemplait bêtement la bagarre qui se déroulait sous ses yeux, immobile. Il ne pouvait pas concevoir ce à quoi il assistait. L'imposant félin était sorti quasiment de nul part... ou bien... vu ce qu’il avait ressenti… de lui ? Le jeune homme se prit la tête dans les mains. Ça ne pouvait pas être ça. C'était purement et simplement impossible. On lui avait fait une blague, c'était tout. Peut-être y avait-il de la poudre hallucinogène dans son assiette, ce midi ? Oui, c'était sûrement ça... une sale farce. Mais, dans son esprit, Braxton sentait raisonner la colère et la peur de la bête. Et ça, même le plus puissant des champignons ne pouvait certainement pas le restituer. Pas aussi clairement.

La lutte avait été de courte durée, et le gros chat refermait à présent ses larges crocs sur la gorge de son adversaire.

Le loup poussa un nouveau gémissement, glaçant les sangs du jeune homme jusqu'aux os. Il sentit la satisfaction du félin, alors même que ce dernier remportait la victoire. C'était... effrayant. C'était tout bonnement impossible. Mais ce qui amena le vert et argent à s'indigner, à vouloir reprendre le contrôle, ce ne fut ni l'odeur du sang, ni les bruits du duel...

« Braxton, lâche-moi bon sang ! Tu vas me tuer si tu continues ! »

L'humaine dit quelques mots, qu'il ne comprit pas immédiatement. Elle ne pouvait rien lui faire, de toute manière: nul ne pouvait toucher un familier sans l'accord profond de son humain. L'inverse n'était pas vrai. Si elle tentait de le repousser, il la réduirait en miette. Rien a craindre donc de ce côté là. Le félin s'apprêtait à resserrer un peu plus son emprise. Il sentait la chair céder sous la pression qu'il exerçait...

Braxton n'assimila pas tout de suite le sens de ces paroles. Ce qu’il comprit, en revanche, c'est qu'il pouvait mettre fin à tout ça. Emma avait raison. Il sentait les émotions du félidé, il devait donc lui aussi comprendre les siennes. "La" bête n'était pas juste un animal surgit de nul part. C'était "sa" bête. Si elle avait pu prendre le contrôle de son corps un peu auparavant, alors il pouvait lui aussi lui imposer ses directives. Entre ses doigts écartés, Braxton jeta un regard à l’effroyable scène qui se déroulait, bien trop près à son goût. Ça ressemblait plus à une mise à mort qu'à une bataille. Ce qui réduisit à néant, en un laps de temps très court, ses faibles convictions... mettant aussi à mal sa fragile maîtrise de lui-même. Tout s'embrouilla devant ses yeux. Était-ce... des larmes ? Elles n'étaient pas tant dues à la haine qu'à une certaine tristesse. Le hurlement lui déchira la gorge...

"ARRÊTE ÇA !"

L'entité, froidement, goûtait au fluide vital de sa victime qui chatouillait sa langue, quand des cordes invisibles semblèrent immobiliser sa volonté, inhiber cette décision. l'Once tenait toujours la louve à sa merci, mais ne pouvait pas enfoncer d'avantage ses dents dans sa chaire tendre. Il résista, tenta de se soustraire à cette emprise. Mais son humain avait solidement agrippé le lien qui les unissait. Un feulement contrarié s'éleva de sa gueule entr'ouverte... Lentement, le félin relâcha son étreinte, et sentit la louve se détendre sous lui. Après s'être assuré qu'il n'y aurait aucune contre-attaque, il dégagea sa tête, et entreprit de reculer prudemment. Sans quitter son adversaire de ses pupilles fendues. Quand il fut à une distance raisonnable, le familier se retourna vivement vers son humain prostré.

En entendant les pas souples du léopard qui se rapprochait, Braxton releva enfin la tête. L'animal majestueux, tout à fait dans son élément, évoluait sur la neige comme s'il avait fait ça toute sa vie. En le voyant de plus en plus proche de lui, l'adolescent se remit debout avec peine, malhabile sur ses jambes, comme un enfant en bas âge. Il reprit cependant rapidement son équilibre, tremblant de fatigue.

"Ne t'approches pas."

Sa propre voix enrouée raisonna durement à ses oreilles. Elle lui parut rocailleuse. Le ton, glacial. Le félin lui jeta un regard qui semblait contenir une patience et un savoir plus qu’ancestral, et s'assit sagement à un petit mètre de lui, avant d'enrouler tranquillement sa queue autour de ses pattes avant. Braxton le contempla dans le silence presque religieux qui régnait, uniquement troublé par le sifflement aigu du vent. Son regard cerné se reporta ensuite sur le loup, puis sur Emma, sans les voir vraiment. Il fixa un instant les entailles dans le cou de la jeune fille, d'où perlaient quelques gouttes de sang. Alors seulement, ses yeux remontèrent lentement pour se vriller à ceux d’Emma. Et une certitude l'accabla soudain...
Braxton n’avait jamais voulu faire de mal à la serdaigle, physiquement ou non. Et il se promit qu’il ne le ferait jamais plus. Pour rien au monde. Jamais. L'adolescent comprenait à présent qu'il était un danger pour elle. Même s'il n'était pas directement responsable. Une peine sans fin s’insinua dans tout son être, telle une main aux doigts un peu trop baladeurs. Fouillant sa chaire, grouillant sous sa peau...

"Toi non plus."

Le simple fait de prononcer ses mots lui ficha une pointe au cœur. Braxton recula petit à petit dans la neige qui entravait ses mouvements hiératiques, jusqu'à ce que son dos rencontre l'écorce rêche, presque rassurante d’un arbre. L’étudiant s’en servit d’appui pour se maintenir debout, puis passa une main sur son visage, comme s’il cherchait à effacer tout ce qui s’était produit, tout ce qu’il avait fait. Quand il eut ramené son bras contre le tronc épais de son soutient, il se sentit un peu mieux. A peine plus maître de lui-même. Sa bête ne l’avait pas quitté des yeux tout du long, immobile comme un sphinx, se confondant à son environnement. Braxton se racla la gorge, certain qu’il pouvait défaillir à tout instant...

"Qu’est-ce que c’est que cette histoire... qu’est-ce que... qu’est-ce que c’est que Ça ?! Bon sang, Emma... dit quelque chose, n’importe quoi... Je, je sais. On est dans un délire hallucinatoire. Ça a commencé quand j’ai quitté la salle commune, et que tout le monde me regardait bizarrement. Dans deux minutes, je vais me réveiller sur mon lit, avec un mmail de toi me disant de me grouiller et de rappliquer..."

Lui-même n’y croyait pas vraiment, mais ça lui faisait du bien de s’entendre parler. Depuis qu’il avait... quand il s’était battu avec le serpentard, dans le Grand Hall, tout ce qui était sorti de sa gorge n’était que grondements et bruits inhumains.

"Ce mec m’a juste tapé dessus, merde ! C’est ni le premier, ni le dernier... et... -il se prit la tête dans les mains, étouffant ses paroles- il doit, il doit être mort... bon sang... je suis sûr qu’il est mort..." Braxton écarta alors ses mains, et les examina comme s’il les voyait pour la première fois. "je... je l’ai tué."

Et il tourna un regard horrifié vers Emma:

"Je l’ai tué."

Enfin Emma sentit la pression sur la gorge de Cassie cesser, et son propre cou cessa de la lancer d’une douleur insupportable. Braxton avait ordonné d’un cri à sa bête de lâcher son amie, même s’il ne devait rien comprendre de ce qui se déroulait sous ses yeux. La Serdaigle fusillait le léopard des neiges du regard, bien que ce dernier semble s’en soucier comme de sa première pelote de laine. La louve, quant à elle, avait profité de l’instant pour se rapprocher de son humaine et l’inciter à se baisser. Emma sentit la langue râpeuse parcourir son cou et la plaie disparut lentement, tout comme la douleur. Eh bien ! Si elle avait su, elle aurait demandé à son familier de jouer les pansements bien plus tôt. L’animal arrêta de la lécher, et aussitôt, la jeune fille passa ses doigts sur l’endroit où elle avait été blessée. Elle n’avait plus aucune marque de morsure de chat. Une explication en moins devoir fournir à William, ou à Enhellwater. Maintenant, il fallait qu’elle vérifie que Cassie allait bien elle aussi. Pendant ce temps-là, Braxton interdisait à son familier de l’approcher. Le félin s’assit et devint immobile comme une statue. Emma ne savait pas pourquoi, mais elle ne l’aimait pas vraiment. C’était peut-être dû au fait qu’il avait essayé de la tuer, mais il y avait autre chose. En tous cas, heureusement, Cassie n’avait rien non plus. Les deux relevèrent les yeux vers Braxton.

"Toi non plus."

Eh oh, ça va deux minutes oui ! Il n’était pas si dangereux que ça, d’abord. Ce n’est pas parce que son gros chat avait décidé que tuer la meilleure amie de son humain – ce qui, entre nous, n’était le choix le plus avisé à faire – qu’Emma allait le fuir comme la peste. En fait, si le léopard était bien pour Braxton l’équivalent de Cassie pour Emma, cela démontrait qu’il avait bien un côté crétin au fond de lui. Ce qui était normal en revanche, c’était que son ami ait peur. Après tout, elle s’était bien crue folle quand Cassie avait surgi dans sa vie comme un cheveu dans la soupe.

"Qu’est-ce que c’est que cette histoire... qu’est-ce que... qu’est-ce que c’est que Ça ?! Bon sang, Emma... dit quelque chose, n’importe quoi... Je, je sais. On est dans un délire hallucinatoire. Ça a commencé quand j’ai quitté la salle commune, et que tout le monde me regardait bizarrement. Dans deux minutes, je vais me réveiller sur mon lit, avec un mmail de toi me disant de me grouiller et de rappliquer..."

Elle voulait parler, elle voulait lui dire qu’il n’avait pas à s’inquiéter, mais il reprit la parole trop vite pour lui en laisser le temps.

"Ce mec m’a juste tapé dessus, merde ! C’est ni le premier, ni le dernier... et... il doit, il doit être mort... bon sang... je suis sûr qu’il est mort... je... je l’ai tué."

De quoi ? Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire ?

"Je l’ai tué."

Bon. La première chose à faire, c’était de donner le peu d’explications qu’elle avait réussi à rassembler à Braxton avant que ce dernier ne se croit complètement dingue. Alors elle se redressa, et se précipita sur Braxton. Pas pour l’attaquer, ni le maîtriser, non. Et c’est certainement pour cette raison que le familier ne bougea pas d’un centimètre. Emma resserra ses bras autour du cou de Braxton et le serra contre elle. Elle fit en sorte que l’étreinte soit apaisante, et qu’il comprenne qu’elle n’avait pas peur de lui, ou de ce qu’il pourrait avoir fait. Il ne pouvait pas avoir tué quelqu’un. Si un élève était mort, alors Braxton n’aurait jamais pu la retrouver dans le parc. S’il avait fait du mal à une personne, les enseignants seraient intervenus. Non, Emma ne croyait pas à ce qu’il venait de déblatérer, elle était sûre que ce n’était qu’un babillage dû au choc de l’intervention de ce gros chat.

« Je croyais que j’étais… la seule. La seule à avoir ce… truc. » Emma déposa un baiser sur la joue légèrement ensanglantée de Braxton. « Alors crois-moi, ce n’est pas simple, et on va en parler. C’est pour ça, entre autres, que je t’ai demandé de venir. Je voulais te parler de Cassie. »

Et lui raconter, si Morten ne l’avait pas déjà fait, comment elle avait fait exploser une salle de bains. Qu’il comprenne qu’il n’était peut-être pas le seul à être dangereux.

En voyant la jeune fille se précipiter vers lui, Braxton avait jeté un coup d'œil affolé en direction du léopard. Celui-ci n’avait pas bronché. Il avait même entrepris de se toiletter les pattes avant avec une nonchalance toute féline. L'adolescent sentit la chaleur du corps d'Emma alors qu'elle jetait ses bras autour de son cou. Et dans cet enlacement réconfortant, Braxton se calma enfin. Il avait cru un court instant devoir s'éloigner d'elle pour la préserver. Mais à présent, il savait qu'il n'aurait jamais pu. Sans Emma, il ne lui serait resté que Morten... et bonjour les démonstrations de douceur avec cet énergumène ! En réponse à cette marque profonde d'affection, l'étudiant passa ses mains dans le dos de la serdaigle afin de la serrer un peu plus contre son cœur. Lorsqu'elle parla, le timbre familier de sa voix vibra contre son oreille. Un bourdonnement plus que bienvenu au vu de la situation.

« Alors crois-moi, ce n’est pas simple, et on va en parler. C’est pour ça, entre autres, que je t’ai demandé de venir. Je voulais te parler de Cassie. »

Par-dessus l'épaule d'Emma, Braxton regarda le loup. Alors... c'était... la même chose pour elle ? Mais... comment ? Et pourquoi ne pouvait-il le voir que maintenant ? Dans sa tête, tout un tas de question se bousculaient, tourbillonnant, pour finalement arriver à une unique conclusion:

"Je... je ne comprends pas."

Et malgré tout ce fatras d'événements impossibles, malgré ses peurs et toutes ces interrogations, un sourire ironique s'imposa sur les lèvres du jeune homme.

"Ceci dit, je suis parfois un peu lent à la détente."

Brisant leur étreinte, Braxton écarta légèrement Emma afin de pouvoir la regarder. Il allait dire une nouvelle idiotie, quand il sentit la peau de son visage le tirailler légèrement. L’adolescent porta deux doigts à son menton, et le contact rugueux du sang séché lui ôta définitivement toute envie de rire. Comme dans un flash-back, il se remémora la vision du serpentard roulé en boule, à terre, se tenant la gorge en gémissant.

"Je ne déconnais pas, Emma. Je l'ai tué... même si ce n'était pas vraiment moi."

Braxton tourna alors la tête vers sa bête, qui semblait écouter attentivement ce qu'il racontait. Ce qui était plutôt étrange de la part d'une telle bestiole... même si ce n'était pas vraiment un animal normal. On aura dit qu'elle allait ajouter quelque chose, comme pour se justifier, mais qu'elle ne souhaitait pas spécialement se joindre à la conversation. Par le lien qui les unissait, Braxton savait aussi que l'once avait envie de dormir, qu'il était fatigué, et qu'il ne voulait pas être là. Non mais je vous jure... qu'est-ce que c'était que ce truc ? Non seulement il se permettait tout et n'importe quoi, mais -en prime !- il cherchait à rester en retrait ?! Sans prévenir ni savoir comment il s'y était pris, le jeune homme envoya à son familier une sorte de mini décharge électrostatique pour le rappeler à l'ordre. L'entité eut un sursaut, et montra les crocs d'un air dédaigneux avant de recommencer à se lécher les pattes. De l'air de dire: "Ça, tu aurais pu t'en passer. Je ne suis pas aussi débile qu'il n'y paraît, contrairement à toi". De son côté, le familier s'étonnait de voir un humain maîtriser en aussi peu de temps certains aspects de leur future relation. Qu'ils le veuillent ou non, le félin savait qu'ils étaient l'un et l'autre une part de chacun, et que l'humain ne pourrait pas se défaire de lui. L'échange n'avait duré qu'une courte seconde. Perplexe, Braxton haussa un sourcil, puis se racla la gorge avant de poursuivre à l'intention d'Emma:

"Personne ne peut survivre en ayant perdu autant de sang. J'étais... je ne pouvais rien faire. Tout le monde m'a vu... j'ai... Pendant un instant je me suis vu goûter son sang... et aimer ça... ! A moins qu'ils aient mis en place un 'oubliette' collectif, je ne peux pas retourner au château. Pas comme ça."

Sentant ses pensées redevenir un brin plus cohérentes, le serpentard prit une profonde inspiration. Le choc premier était passé, à présent. Et il éprouvait le besoin de comprendre un peu mieux afin de se ressaisir totalement. Ses yeux fatigués quittèrent brièvement les traits d'Emma pour se porter à nouveau sur le loup. La jeune fille avait dit qu'elle s'appelait Cassie. Ces phénomènes avaient donc un nom. Alors c'est qu'ils étaient des êtres... à part entière ?!

"Depuis quand... ?"

Braxton ne finit pas sa phrase. Il ne voyait pas de toute manière comment il aurait pu la formuler. La question, même si elle n'était pas dans son entièreté, était plutôt significative étant donné le contexte... Depuis combien de temps Emma gardait-elle le secret ? Que savait-elle aussi ? Et puis... pourquoi lui ? Le vert et argent n'aurait jamais cru qu’il se poserait cette question un jour. Du moins, pas de cette manière, pas alors qu'elle était vraiment justifiée. D'ordinaire, on l'utilisait plutôt pour se plaindre, et rechigner un bon coup avant de faire ce qui était demandé. Aujourd'hui, Braxton se le demandait vaguement. Sans aucune arrière pensée. "C'était" là, il n'y avait probablement rien à faire pour changer ce fait. Alors autant l'assimiler et arrêter de se prendre la tête... et sur ce point, l'adolescent ignorait encore à quel point il était proche de son familier. D'ailleurs, au final, il en allait de même pour cette histoire de bagarre qui aurait mal tournée. Braxton avait sûrement pris la vie d'un homme, mais, si c'était réellement le cas, il ne pourrait pas la lui rendre. Alors il ne lui resterait qu'à prendre son destin en main et à se carapater avant de finir à Azkaban. Parce qu'il n'y aurait sans doute aucune circonstance atténuante... et qu'il ne désirait pas spécialement finir chez les barges !

L’espèce de terreur avait fait place à l’incompréhension. Quoi de plus normal, de la part de Braxton ? Emma aurait sans doute réagi de la même manière à sa place. D’ailleurs, ne s’était-elle pas crue folle pendant un temps, quand la louve avait brusquement apparu dans la salle d’eau de la Tour des Serdaigles ? Ce n’était pas pour rien que tout avait explosé autour d’elle et qu’elle s’en était sortie avec un bon séjour à l’infirmerie d’une semaine et demi. Séjour qui n’avait pas duré plus longtemps pour la simple et bonne raison qu’elle s’était… échappée, il n’y avait pas d’autre mot qui convenait à la situation. Mais c’était bien connu qu’il n’y avait que les hypocondriaques pour aimer les hôpitaux et les infirmeries, et Emma ne faisait pas partie du lot. Elle avait horreur d’être enfermée et clouée au lit pour raisons médicales, presque autant qu’elle avait les oiseaux en horreur, et ce n’était pas peu dire. Enfin, il fallait quand même en revenir à nos moutons. Ou à notre agneau, en l’occurrence.

"Je... je ne comprends pas. Ceci dit, je suis parfois un peu lent à la détente."

Tu l’as dit, Henri ! Oui, c’est une expression. Si vous ne connaissez pas, alors allez-vous cacher dans un trou, merci. Braxton se dégagea de son étreinte pour la regarder dans les yeux. Pendant un instant, Emma crut qu’il allait enfin se calmer, même aller jusqu’à sortir une nouvelle imbécilité, mais il sembla se rappeler qu’il avait le visage couvert de sang, et ses yeux s’agrandirent de nouveau, retrouvant une lueur à moitié horrifiée.

"Je ne déconnais pas, Emma. Je l'ai tué... même si ce n'était pas vraiment moi. Personne ne peut survivre en ayant perdu autant de sang. J'étais... je ne pouvais rien faire. Tout le monde m'a vu... j'ai... Pendant un instant je me suis vu goûter son sang... et aimer ça... ! A moins qu'ils aient mis en place un 'oubliette' collectif, je ne peux pas retourner au château. Pas comme ça."

Mouais. Pour le sortilège d’oubli, il ne fallait pas trop compter dessus. Par contre, et plus elle y réfléchissait, plus Emma pensait que Braxton ne pouvait pas avoir tué un autre élève. Alors qu’il allait encore paniquer comme un crétin, elle lui mit une tape derrière la tête. Comme remède contre la paranoïa, c’était le plus efficace qu’elle connaissait. Elle l’utilisait souvent contre le Serpentard, ou sur son frère également. La Serdaigle se détourna de son ami et s’approcha du léopard blanc. Elle avait comme qui dirait l’impression que Braxton savait le retenir à présent, et donc elle ne craignait de diminuer la distance entre elle et l’animal. Elle s’agenouilla dans la neige, ses yeux noisette à hauteur du regard froid du félin.

« Est-ce que tu as mordu au point de tuer ? »

Ce n’était pas pareil qu’avec la louve. Le ton de la voix qu’elle entendit dans sa tête n’était pas aussi chaleureux. Peut-être était-ce dû aux différences qui opposaient Braxton et Emma. Mais au moins, la jeune fille avait sa réponse. Oui, un élève de Gryffondor avait été blessé, mais pas au point de mourir dans la minute après la morsure. Alors elle se tourna à nouveau vers Braxton, tout en restant agenouillée à côté de l’once. Elle expliqua calmement à son ami que, dans le cas où il aurait effectivement tué quelqu’un, des Aurors seraient déjà arrivés à l’école pour l’arrêter et le conduire à Azkaban. Là, un ou plusieurs adultes avaient dû arriver à temps pour contenir l’hémorragie le temps d’emmener l’élève à l’infirmerie, sous les bons soins de Monsieur Enhellwater. Elle ne doutait pas qu’il serait convoqué dans le bureau du directeur, mais elle essayait véritablement de lui faire comprendre qu’il n’avait pas à paniquer complètement. Seulement, Braxton s’était de nouveau concentré sur Cassie.

"Depuis quand... ?"

Il n’avait pas besoin de finir sa question, car Emma avait bien saisi le sens. Elle se redressa, épousseta la neige qui s’était collée à son pantalon, et fixa l’horizon, vers le lac.

« Depuis quand elle est apparue ? Ou depuis quand j’ai perdu le contrôle ? »

Un instant, sa main se resserra et forma un poing, avant de se détendre et de laisser les doigts flotter dans le vent.

« Cassie m’est visible depuis le soir de Noël. Tu sais, avec le coup du gui, et toute cette histoire débile de bal. Je n’ai peut-être pas sauté à la gorge de quelqu’un, mais j’ai fait exploser toute la robinetterie de la salle d’eau de ma Tour. Et les miroirs, aussi. »

Emma retroussa la manche de sa veste et de son chemisier, et lui montra la longue estafilade qui marquait la peau de son avant-bras. Puis elle reprit, comme sur le ton de la conversation.

« Je pense que Cassie a essayé de sortir plus tôt. Toutes ces pertes de contrôle que j’avais sur ma magie, depuis l’an dernier, je pense que c’était elle. Parce que depuis qu’elle est là, je n’ai plus aucun ennui. Même mon épilepsie est redevenue… normale. Enfin, tant soit est que cela puisse être normal. »

La jeune fille esquissa un sourire peu convaincant.

« Jusqu’ici, je pensais que j’étais la seule comme ça. Ce n’est peut-être pas très réconfortant pour toi, mais je suis plutôt contente de voir que tu es aussi bizarre que moi. »

La petite tape à l’arrière du crâne avait ramené Braxton à la réalité, comme toujours. C’était un geste vif et sec, mais la petite piqûre de douleur remit ses propres nerfs en marche. Ce qui n’était pas une mince affaire. Sous son regard inquiet, Emma s’était ensuite approchée du familier. L’adolescent avait capté leur échange comme si les oreilles du léopard avaient été les siennes... et les paroles qu’il prononça avaient déclenché un lourd frisson le long de son épine dorsale. D’effroi, tout d’abord. De soulagement, bien après. Car alors même que les mots s’estompaient dans les esprits des deux étudiants, Braxton n’arrivait pas à se débarrasser de cette impression d’intrusion qu’il avait ressentie. Pas pour lui-même, non, mais vis-à-vis d’Emma. Il ne se rendait pas encore bien compte de ce que représentait le lien qui l’unissait au fauve, mais en tâtonnant un peu en lui-même, le serpentard s’aperçut qu’il était solide, indéfectible, et profondément ancré. A tel point qu’une simple pression de l’âme sur cette espèce de fil, d’apparence si ténue, leur amena à tous deux un grognement synchronisé de pure irritation. Le regard plissé qu’ils échangèrent dans la foulée en disait long sur ce qu’ils pensaient de ce nouveau couple. Mais pour un observateur extérieur, il ne devait probablement rien paraître de plus que leur mécontentement mutuel.
Pendant ce temps, Emma tentait de rassurer Braxton sur ce qui s’était produit. "Tentait", oui, car même si, effectivement, il n’irait pas à Azkaban, l’adolescent sentait que les événements à venir ne lui seraient pas favorables, ni charitables. Rien que pour ses parents, par exemple. Le directeur à la limite, il s’en moquait bien... même s’il ne voyait absolument pas quelle explication il pourrait bien lui fournir. Est-ce que s’il plaidait la folie, les choses passeraient ? Un truc avalé de travers ? Une perte de contrôle peut-être ? Non, il vaudrait sûrement mieux qu’il évite de passer pour un fou furieux. Il tenait tout de même un brin à sa normalité. Enfin, à son "semblant" de normalité. Parce que là, le vert et argent voyait mal comment il pourrait encore passer pour un élève du commun des mortels. D’autant plus que si Emma pouvait voir la bestiole qui lui tenait lieu de familier, alors d’autres pourraient probablement le faire... ou peut-être que non ? C’était bien là tout le problème de la chose. D’où est-ce que cela venait, qui était au courant, et surtout: qu’est-ce que ça impliquait ?!
Braxton observait la jeune fille qui serrait et desserrait le poing, l’incrédulité peinte sur ses traits fins. Elle avait évoqué une perte de contrôle. Comme lui. Est-ce que ça voulait dire qu’elle avait fait du mal à quelqu’un, elle aussi ? L’adolescent ne lâcha pas d’une miette le fil du discours qu’Emma tint en suivant, haussant un sourcil devant la fine cicatrice qui courrait le long de son avant-bras. De temps à autre, ses yeux, rendus gris par la réverbération de la lumière sur la neige molle, se portaient sur Cassie.
D’une certaine manière en cet instant, le jeune homme admirait sa camarade. Elle avait l’air tellement... blasée par la situation. Comme si elle s’y était finalement faite. En son for intérieur, Braxton se demanda s’il arriverait un jour au même stade de détachement. A ce qu’elle disait, ça ne faisait pourtant qu’un peu plus d’un mois que la louve s’était révélée à elle. Ou plutôt "matérialisée". De toute façon, plus il y réfléchissait, plus Braxton cherchait ses mots. La situation était tellement inhabituelle que beaucoup ne correspondaient pas à la réalité. D'autres s'en trouvaient totalement inutilisables, inappropriés, voire même complètement absurdes. A tel point que le jeune homme avait du mal à les formuler, ne serait-ce qu'en pensée... et qu’est-ce que ce serait une fois lâchés dans le linceul hivernal qui les étreignait ?! Même certaines paroles d’Emma avaient une étrange consonance, surtout celles à propos de son épilepsie.

« Jusqu’ici, je pensais que j’étais la seule comme ça. Ce n’est peut-être pas très réconfortant pour toi, mais je suis plutôt contente de voir que tu es aussi bizarre que moi. »

L’étudiant lui rendit son sourire, à présent lui-même plus détendu. Les choses viendraient comme elles voudraient, et il ne pourrait de toute manière en empêcher aucune. Il pourrait seulement faire face...

"Il y a un petit quart d’heure je t’aurais répondu que Morten avait fini par déteindre sur toi, que tu étais atteinte mais que je t’aimais quand même. Là à vrai dire –Braxton porta un main à sa nuque, en un geste qui lui était familier- je suis sûrement aussi égoïste que toi, je pense. Je suppose que je peux te remercier. Si je m’étais retrouvé tout seul, je ne sais pas ce que j’aurais fait... après avoir gerbé dans la broussaille, cela va de soit."

Un petit rire secoua brièvement ses épaules musculeuses à cette pensée; même s’il se sentait encore estomaqué par le goût du sang. Ce n’était d’ailleurs pas tant par la faute de l'hémoglobine en elle-même qu’il se sentait aussi mal, mais plutôt par le fait qu’il provenait directement et volontairement d’un adversaire à terre. En gros, de son propre geste, de son propre méfait. Ou plutôt de celui de la bête, au final. De son côté, le léopard des neige s’était couché dans la neige, gardant -apparemment pour la forme- un œil sur la louve. En tant qu’humain et ami d’Emma, Braxton ne comprenait pas vraiment pourquoi le félidé s’astreignait à la prudence. Par le lien qui les unissaient cependant, l’adolescent engrangeait toute la méfiance que l'once ressentait, et attisait. L'étudiant se tourna une nouvelle fois vers la jeune serdaigle.

"Ce ne sont pas vraiment des parts de nous-même, n’est-ce pas ? Je te fais entièrement confiance, je peux te le garantir, je peux même le jurer sur ma propre vie, et pourtant, lui –coup d’œil nerveux vers sa bête- il n’y croit pas. Alors qu'il sent ce que moi-même je ressens, je le sais. Mais il garde une forte part d’indépendance. Est-ce que... est-ce que c’est pareil pour... vous... ?"

Il avait prononcé le dernier mot avec hésitation. Mais à la manière dont il percevait le félin, Braxton avait la vague impression de pouvoir dégager le lien entre Emma et Cassie. Peut-être qu’il existait différentes sortes de liens ? Peut-être que cette relation toute neuve avec son familier se manifestait autrement pour elles... ? Après un nouveau regard perdu, et un allez-retour visuel entre les deux intéressées, l’apprenti sorcier éclata de rire. C’était vraiment une situation inconfortable…

"Merde Emma, j’ai vraiment l’impression d’être un crétin fini. Ou plutôt un nouveau-né qui se retrouverait brusquement avec la capacité de parler, et ne saurait pas pourquoi ni en quoi ça consiste réellement..."

- Je préférais la première option.

Braxton eut un violent sursaut en se retournant vers l’origine de la voix. C’était la première fois qu’il l’entendait... disons, en vrai. Autrement que par l’esprit. Même s’il restait une sorte de grondement, le ton en était moins glacial, l'écho spectral, fortement atténué. Mais la saveur en restait âpre, et cynique. Malgré un petite pointe d’amusement. L’adolescent se passa une main sur le visage en marmottant :

"Maintenant je vais me découvrir un don de ventriloquie. En plus de la schizophrénie."

Quelque part au-delà de la barrière de ses doigts, le jeune homme entendit une sorte de lourd soupire. En même temps qu’il le percevait, le serpentard sentait aussi toute l’exaspération de son familier par le fil qui les unissait. Il tourna un regard exaspéré vers Emma, ne se rendant pas compte de la résonance que les sentiments de l’once trouvaient en lui.

"Dis moi que ce n’est pas juste un bout de moi, ou je sens que je vais beaucoup moins m’aimer après ça."

Et le demi-sourire accompagnant la supplique était là pour prouver qu'il ne blaguait... qu'à moitié.