La tête suspendue au-dessus de son bol de thé, simplement retenue par ses mains, Maëdy contemplait la substance qui sentait bon le jasmin d’un air très concentré. Son GPS posé à côté de sa tartine à la marmelade entamée, elle attendait qu’Esmée réponde à son message. Car oui, ça la turlupinait énormément. Premièrement, elle avait fait un cauchemar, et elle avait horreur de ça, elle se sentait toujours très mal pendant les quelques heures suivant son réveil ; deuxièmement, l’apparition d’une créature inconnue dans son rêve, ça n’était pas normal. Techniquement, les rêves sont composés de tout ce que l’individu a vu ou entendu, consciemment ou non, dans une période relativement récente, non ? Et elle avait beau chercher dans tous les recoins de sa tête, elle ne voyait absolument pas ce qu’un Malagrif tacheté venait faire dans la projection de son subconscient. C’était quoi, un Malagrif tacheté ?! Non, sérieusement, QUI rêve d’un Poudlard qui flambe parce qu’un deuxième année de Gryffondor mourrait d’envie de bananes flambées, provoquant une tornade détruisant quelques salles de l’école, semant la panique totale chez les élèves et le personnel ? QUI rêve d’une attaque de dauphins maléfiques via les sous-sols du château, armés de tous les fruits de mer du lac ? QUI rêve de se faire mordre par un gros homard alors qu’il réclame depuis dix minutes un poulet rôti farci aux noix de saint jacques ? « Les noix de saint jacques sont nos amies ! » hurlait même le homard. « Dégage sale homard ! » rétorquait Maëdy en gesticulant dans tous les sens. « C’est pas un homard, c’est un Malagrif tacheté ! » répliquait un septième année de Serdaigle. « Et alors ? Il est quand même en train de m’bouffer ! » Rappelait Maëdy en shootant dans une crevette géante déguisée en moule. Et donc, au réveil, l’adolescente se posait les questions suivantes : qu’est-ce qu’était exactement le Malagrif tacheté, que foutait-il dans son cauchemar, et pourquoi l’avoir associé à un homard ? Réflexe numéro un : fouiller dans ses cours de soins aux créatures magiques. Avant de se rendre compte qu’elle ne suivait pas cette option. Réflexe numéro deux : demander à Esmée. Mais Esmée ne répondait toujours pas. Alors Maëdy attendait, perchée au dessus de son bol de thé au jasmin, méditant sur la signification de son rêve.

Une demi-heure plus tard, elle se trouvait assise à une table de la bibliothèque, plongée dans un livre consacré aux créatures magiques ressemblant aux créatures moldues. Elle avait facilement trouvé le chapitre qui l’intéressait, et fut surprise de constater que le Malagrif tacheté était bel et bien un être diabolique en forme de homard. En lisant ces lignes, elle laissa échapper un soupir d’insatisfaction. Plusieurs choses clochaient. Tout d’abord, pourquoi appeler un homard « Malagrif » alors qu’un homard n’a pas de griffes ? Et pourquoi lui ajouter l’adjectif « tacheté » puisqu’un homard n’est pas tacheté ? C’était plus probable de tomber sur un dragon avec un nom pareil qu’une stupide créature aquatique sans cervelle… « Sa morsure entraîne un effet secondaire surprenant chez la victime en la rendant malchanceuse pendant une période qui peut durer jusqu'à une semaine. » Maëdy relit la phrase plusieurs fois en gardant une expression stoïque, ne sachant que penser. Soit, c’était une grosse blague de la part de son subconscient, soit, c’était un véritable signe. Mais un signe de quoi ?! De malchance ? Elle n’avait pas vraiment besoin d’un tel rêve pour être prévenue, elle était la malchance. Ou alors un signe pour l’avertir que les prochains jours seraient sujets d’une chance incroyable ? Après tout, c’était son truc les contradictions, ces derniers temps. Mais c’était un peu trop beau pour être vrai. Vous imaginez, trois jours sans que ses habits ne soient victimes d’une retouche made in les groupies de Daniel Carter themselves ? Trois jours sans se casser la figure toutes les six marches ? Trois jours sans que les escaliers ne la forcent à retraverser le château dans son intégralité alors qu’elle a déjà cinq bonnes minutes de retard ? Trois jours de normalité pour la plupart des personnes, en fait, mais trois jours de « chance véritable et improbable » pour Maëdy. Incredible.

C’est perdue dans ses pensées que Maëdy sentit soudainement une présence bien près d’elle. Un peu trop près proportionnellement au silence qui l’entourait. Sans lever les yeux de son bouquin, elle fit défiler le nom des personnes susceptibles de venir s’installer à sa table à la bibliothèque sans se présenter ou lui demander quoi que ce soit. Esmée se serait déjà mise à lui parler, ou l’aurait fait sursauter, ou aurait refermé son livre brusquement pour la faire réagir. Dan l’aurait surprise en l’entourant de ses bras par derrière, ou en posant ses mains sur ses épaules en criant « bou ! ». Mais Maë suspectait Dan de n’avoir jamais mis les pieds à la bibliothèque. Non, en fait, elle ne voyait pas du tout qui pouvait s’asseoir en face d’elle et lui faire subir le poids d’un regard dans un silence absolument oppressant. Et s’il s’agissait d’une réincarnation humaine du Malagrif tacheté ? Aaaaah, c’était donc ça, le rêve ! Tout s’éclaircissait dans son esprit… *Ou pas. Tu penses vraiment qu’un homard géant va venir s’emparer du corps d’un élève et venir t’ennuyer dans une bibliothèque ? Dans une bibliothèque ?! – Bah c’est possible, hein… Il se passe trop des trucs étranges en ce moment… - Tu ferais mieux de regarder une bonne fois pour toutes, on sera fixées, au moins.* Alors lentement, Maëdy fit glisser ses yeux bleus au dessus du bouquin, et tomba nez-à-nez avec un charmant jeune homme, qui la fixait de manière assez… flippante. Ne sachant que faire ni que dire, la Serdaigle se contenta de le fixer dans les yeux d’un air complètement stoïque, en attendant qu’il se manifeste. C’était peut-être une statue… Ou un Serpentard envoyé par le roi des homards maléfiques ! Le cœur de la jeune fille se mit à battre à toute vitesse à cette pensée, mais ce ne fut rien comparé à l’embardée qu’il prit lorsque l’inconnu se leva d’un bon sans aucun signe avant coureur. Maëdy sursauta et lâcha son livre, qui se referma sur le coup, mais n’eut pas le temps de suivre le jeune homme du regard tellement il s’était déplacé vite.

« Wow, eyh, tu fais quoi, là ? » s’exclama-t-elle en chuchotant à moitié (on la connaissait ici, et elle ne tenait pas vraiment à se faire remarquer plus que d’habitude) lorsqu’elle se retrouva prisonnière de ses bras. « Tu viendrais pas à la fête des serdaigles avec moi, dis ? » C’était une blague ? Pour qui il se prenait ? Pour qui il la prenait ? Mais pourquoi il lui demandait ça à elle, d’abord ? Ils ne se connaissaient ni d’Eve, ni d’Adam ! Bon, ok, elle savait qui il était. Braxton Terouec, Serpentard, fils de Terouec Senior et tout et tout. Mais se pouvait-il qu’il en sache autant sur elle ? Il était peut-être bel et bien l’envoyé du Malagrif tacheté, finalement… *Il a une tronche de homard, ce type là ?! – Non, pas tellement, mais faut se méfier des apparences !* « Hum… ton pote le homard m’a déjà attaqué cette nuit, si tu pouvais juste… te décoller un petit peu… c’est pas que j’apprécie pas, mais bon… on ne se connait pas si bien que ça, je trouve que les choses vont un peu vite entre nous. » Elle était loin de s’attendre à ce qu’il obéisse, mais c’est pourtant ce qu’il fit. Etonnée, Maëdy ne le lâcha pas des yeux, et se laissa même entrainer lorsqu’il l’incita à se lever. Froncement de sourcils. Lui, il avait quelque chose derrière la tête. Mais non, même s’il était à Serpentard, il était certainement gentil… Aucun Serpentard ne lui avait de tel câlin, encore. Il devait avoir un bon fond ! Et en plus, il voulait aller à la soirée des Serdaigles avec elle… C’en était presque trop gnon ! « Pour la soirée, euh… tu sais, t’es pas obligé d’y aller accompagné. Tu peux te pointer tout seul et rencontrer des gens là-bas ! Surtout que t’as plein d’amis, toi. Franchement, ça aurait été avec plaisir, c’est vrai, il y a juste à se pointer ensemble à la salle, et après, tout le monde fait ce qu’il veut. Mais mon copain, il sera peut-être pas d’accord. Surtout qu’il est à Gryffondor. Ouais, il sera carrément pas d’accord. Pourquoi tu m’as faite me lever ? Tu veux qu’on aille quelque part ? Ce serait plus pratique pour discuter, parce que chuchoter, c’est bien, mais ça devient vite insupportable. Non ? »

*Jamais tu t’arrêtes, Maë. Ton bavardage va te conduire à ta perte, j’te promets.*

« Mais c’est pas parce que j’y vais avec mon petit ami que tu ne dois pas y aller ! » s’exclama Maëdy comme si Braxton allait commettre la plus grosse erreur de sa vie en n’y allant pas. Son expression avait changé, elle l’implorait du regard comme si ses beaux yeux pouvaient le faire changer d’avis. « Surtout qu’il y aura plein de filles, il sera bien occupé… » ajouta-t-elle plus pour elle-même, sur un ton presque boudeur. C’était vrai que cette partie là de sa relation avec Daniel la dérangeait un peu, même si elle avait toujours su à quoi elle s’engageait en sortant avec le Gryffondor. Il était très complice avec les filles, et on ne pouvait pas vraiment lui reprocher, surtout qu’il avait toujours été quelqu’un de fidèle, et Maëdy avait pleinement confiance en lui. Et puis toutes ne voulaient pas l’assassiner elle pour être à sa place, Dan avait également de très bonnes amies avec lesquelles Maë s’entendait très bien (en même temps, avec qui ne s’entendait-elle pas ?), mais il y avait toujours une pointe de jalousie quelque part. Un sentiment qu’elle préférait garder pour elle et le faire comprendre d’une certaine façon à son petit ami sans passer pour une chieuse ambulante. Et il était vrai qu’à cette fameuse soirée, il y aurait beaucoup de filles, Daniel serait aux anges, et puis même, Maë n’allait pas passer la soirée accrochée à son bras – c’était techniquement impossible pour elle, et pour celui qui devrait la supporter pendant ces quelques heures. « Non mais sérieusement, faut que tu viennes ! » continuait-elle d’implorer, sans trop savoir pourquoi. Elle ne s’était à vrai dire même pas posé la question. Pourquoi tenait-elle tant à voir Braxton venir à la soirée, alors qu’elle ne le connaissait que depuis quelques minutes à peine ? Parce qu’il était un gentil garçon, étant donné qu’il n’était pas l’ami du homard maléfique ? Parce qu’il était totalement adorable de la regarder comme il la regardait ?

Elle allait encore enchainer lorsqu’il la coupa, d’un ton dont elle remarqua le gène. « Tu me parais être une fille vraiment intéressante. Probablement même la plus agréable à côtoyer dans un rayon de six kilomètres. » Paf. Maëdy ouvrit de grands yeux de surprise et se tut immédiatement, tandis que le rouge envahissait ses petites joues rondes. C’était rare qu’un garçon – de Serpentard, en plus – la décrive lors de leur première rencontre comme une fille apparemment intéressante et agréable. Pas de lueur de frayeur dans le regard, pas d’hésitation quant à savoir comment comprendre ce qu’elle racontait, pas de « t’es flippante », ou de « t’es étrange ». Juste « tu me parais être une fille vraiment intéressante ». « Alors ça, tu vois, c’est vraiment très gentil. » déclara-t-elle avec un sourire sincère et des yeux pétillants. Et puis ce petit sourire, ce mouvement d’épaules, ce regard… Il était vraiment, vraiment adorable. Maëdy avait même envie de le prendre dans ses bras et de lui faire un gros câlin. C’était décidé, Braxton Terouec deviendrait son ami. Et ce n’était pas Daniel qui allait l’en empêcher, sous prétexte de cette stupide guerre entre Gryffondor et Serpentard. « Mais… » implora-t-elle de nouveau, lorsqu’il lui fit remarquer qu’il risquait de ne jamais entendre ses fameuses histoires. Ses yeux bleus brillaient toujours, mais la lueur qui les animait voltigeait depuis toute à l’heure entre l’admiration et la joie et la déception. Ça devait être assez amusant et intriguant à observer, mais bien sûr, elle ne s’en rendait absolument pas compte. « Je peux t’en raconter quand même, des histoires, si tu veux ! Daniel n’aura rien à dire de toute façon, puisqu’il n’y a rien d’ambiguë. Il n’y a rien de sous-entendu, n’est-ce pas ? Je veux dire, tu ne veux pas sortir avec moi, et moi non plus, je ne veux pas sortir avec toi, mais par contre, j’aimerais bien qu’on soit amis. » Maë et sa franchise, son blablatage, son besoin de poser des questions, tout le temps. Et toujours son regard qui se traduisait par : « S’il te plait, dis ouiiiii, sois ami avec moi ! T’es pas un Serpentard méchant ! ». Qui s’illumina instantanément dès que Braxton se mit à la questionner sur cette histoire de homard. La jeune fille baissa les yeux et laissa échapper un petit rire en repensant à cette lubie obsessionnelle de la matinée qui avait été d’élucider ce mystère onirique. Lorsqu’elle releva les yeux vers le jeune homme, son visage se faisait plus hésitant. « Tu veux vraiment savoir… ? C’est complètement débile, tu sais. Enfin, ce n’est pas moi qui suis débile, mais la situation. Tu ne fais jamais de rêves étranges ? Eh bien les miens, quand ils me marquent vraiment, ça veut dire qu’ils sont prémonitoires. Genre l’histoire du homard, ben en vrai, c’est un Malagrif Tacheté, une créature en forme de homard qui, quand il te mord – ouais, ça mord ces trucs-là -, il te refile une malchance pas possible. Sauf que moi, je suis la malchance, tu vois, alors c’était pas logique… Jusqu’à ce que je me dise qu’en fait, c’était peut-être un signe de chance. Et tu vois, mes déductions étaient bonnes ! Parce que t’es là, et ça, c’est une chance ! » conclut-elle sur un sourire éclatant, synonyme de son assurance retrouvée. Elle espérait sincèrement que son récit n’allait pas faire peur à Braxton, et qu’au contraire, il la trouverait toujours « intéressante ».