Je suis né dans le froid et la joie d’un 29 février... et vous n’imaginez même pas ce que c’est.

Le regard dur, Braxton observait son adversaire. Une grande bringue de 6ème année. Les gryffondors étaient tous les mêmes: "courageux", "valeureux"... détestables. Certains s’en sortaient mieux que d’autres, mais Braxton n’était pas d’humeur à éviter celui-ci. Ce chacal roux prétendait "faire justice" ? Le serpentard fit craquer les jointures de ses doigts avec un petit rire méprisant, affichant un air de dédain suprême...

Lové contre le sein de ma mère, je n’étais pas encore en mesure de comprendre que je ne fêterai vraiment mon anniversaire qu’une fois tous les quatre ans. Quand on parle de poisse, je crois que je ne suis pas mal loti dans mon genre. Mon père n’était pas là d’ailleurs. En fait je ne l’ai rencontré que quelques années plus tard.

Le Poufsouffle auquel il venait "d’emprunter" quelques mornilles était tombé sur le sol dur durant la petite discussion qu’ils avaient eu. Devant l’attitude de Braxton, il recula précipitamment contre le mur le plus proche, terrorisé, poussant sur ses jambes tremblantes sans quitter la scène du regard. Le vert et argent lui lança un regard foudroyant par-dessus son épaule. Les éclairs semblèrent lui donner des ailes, lui permettant de se relever fébrilement avant de mettre les voiles. Mieux valait ne pas rester dans les parages...

C’est assez amusant de voir que je me rappelle de tous les détails de mon enfance, alors que chez d’autres les souvenirs s’estompent avec le temps qui passe, non ? Enfin bref, ma mère m’a eu à l’âge de 17 ans, dans sa dernière année à Poudlard. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour qu’elle rate ses diplômes par ma faute. Heureusement, elle a toujours eu des facilités et a pu ainsi rattraper les cours perdus en un clin d’œil. Pendant ce temps là, je grandissais dans la campagne enneigée de Lettonie, chez mes grands-parents. Ma mère rentrait le plus souvent possible, j’en rends grâce aux portoloins : sans eux, j’aurais sûrement encore plus de séquelles !

Sans plus faire attention au faible qui détalait, la Bête fit de nouveau face au crétin consanguin qui avait osé le provoquer. Sans se hâter, un sourire mauvais aux lèvres, Braxton s’avança vers sa proie, pas à pas. La confiance tranquille qui irradiait de sa personne entama quelque peu les défenses du gryffondor. Celui-ci l’invectivait, le traitait de tous les noms, cherchant à l’énerver pour de bon. Le sourire de l'adolescent s'étira... "Bien, très bien mon lapin. Crie tant que tu veux. Entre mes griffes tu n’es qu’un mulot rachitique... et ça tombe bien, j’avais besoin d’un petit encas."

Non, blague à part, je ne le vivais pas trop mal non plus. Ma mère me manquait, certes, mais rien ne valait les courses de luge contre moi-même dans les collines blanchies pour m’ôter toutes mes préoccupations. Sans compter que mes grands-parents s’occupaient divinement bien que mon éducation et de mon caractère (déjà) rebelle. Quand elle eut terminé ses études de professorat, ma mère nous envoya une lettre où il était question de rentrer à la maison, de manière définitive... ou du moins pour quelques années. Elle disait qu’elle aurait tout le temps de chercher du travail, mais que pour l’instant présent elle voulait me rendre tout l’amour qu’elle n’avait pu m'apporter. Étant donné sa jeunesse, je suppose que ce temps sans côtoyer réellement mon monde et mon existence avait du l’aider à grandir, à mûrir. A m’accepter, aussi.

La bataille était rude... c’est que petit mulot avait de grandes dents blanches ! D’un geste nonchalant, Braxton essuya le sang qui perlait à la commissure de ses lèvres. Sans quitter le gryffondor avachi au sol -et surtout bien amoché- qui se relevait péniblement. La persévérance du dualiste lui arracha une grimace enchantée. On pouvait au moins reconnaître cette qualité aux rouge et or : leur "courage" les amenaient à résister bien plus longtemps que les autres. Tenace le rongeur ! Le ravissement de la mise à mort prochaine étincela fugacement dans son regard sauvage. Une fois l’autre relevé, Braxton cracha par terre le sang qui se rependait dans sa bouche en une dernière provocation.

Je crois que j’avais cinq ans, à peu de choses près. Je l’attendais impatiemment, comme un gosse pourrait attendre le père noël. J’allais l’avoir pour moi tout seul ! Ma maman ! Enfin !
Je ne m’attendais pas à la voir débarquer avec un homme. Il sentait l’eau de Cologne et son visage avait la même odeur que l’après-rasage de papi. Je fronçais légèrement le nez quand il s’accroupit face à moi. Il avait une grosse voix, grave, comme un grondement de tonnerre. Maman m’a regardé, m’a souri, et m’a dit que c’était "papa". Je ne comprenais pas. Un "papa" ? Tout le monde en avait un à l’école, de papa... mais moi je n’en avais jamais entendu parler, je n'en avais pas. Je n'en avais pas non plus utilité. Alors qui était-ce ? Quelle était cette personne qui venait voler mon bonheur alors que je l’effleurais du bout des doigts ?

Le dernier coup de poing avait été dévastateur pour le gryffondor étendu par terre. Du sang coulait abondamment de l’arcade sourcilière droite de Braxton, mais il l’ignora. Son sourire vainqueur devint carnassier lorsqu’il se teint au dessus de sa victime K.O. Il ne fit pas cas non plus de la petite pointe de culpabilité qu’il sentait naître au creux de son estomac. Il l’avait cherché. C’était cet imbécile heureux qui l’avait obligé à se comporter de cette manière. Braxton haussa les épaules, faisant rouler ses muscles puissants sous sa peau. Il contempla un instant les dégâts qu’il avait causés à ce Zoro d’opérette, aux contours violacés de son œil droit, à l’entaille profonde qui barrait sa joue. Cette dernière lui fit froncer un sourcil: depuis quand griffait-il ses adversaires, et qui plus est, jusqu’au sang ?!

Je ne déblatérerai pas sur tout ce que j’ai pu penser à cet instant, face à cet inconnu qui venait creuser son trou dans ma vie sans invitation. Ce que je peux vous dire par contre, c’est qu’au premier geste que l’homme esquissa, je détalais comme un lapin…

C’est avec un long bâillement que Braxton étira ses membres endoloris par le combat. Avant, enfin, de regarder autour de lui d'un air indifférent. Les élèves le fixaient, certains hébétés par cette démonstration de violence, d’autre simplement intrigués. Sentant ses yeux perçants se poser sur elles, les fouines qui se tenaient parmi eux frémirent. Il les avait repérées. Et elles savaient qu’à présent personne n’avait intérêt à le dénoncer sciemment, ou toutes paieraient pour le geste d’une seule. Ne pensant déjà plus à cette idiote petite querelle, Braxton tourna les talons et s’éloigna comme si de rien était. Quelques gouttes de sang s’écrasèrent lourdement à ses pieds à mesure qu’il avançait, seul vestige du naufrage qu’il emporterait avec lui.

Aujourd’hui, je m’entends plutôt bien avec le paternel... enfin, uniquement quand ma mère est présente. Même si parfois cette bizarre tension prend la place de notre conversation. Il lui a fallu plusieurs années pour "m’apprivoiser". Un père, je m’en étais toujours passé. Je ne voyais donc pas ce qu’il pouvait m’apporter de plus que mes grands-parents ne m’eussent déjà donné. Mais ma mère avait l’air sincèrement affligée par mes tentatives d’évitement. Elle semblait tellement heureuse avec lui. Alors j’ai fini par ravaler ma rancœur, face à elle, pour elle. Et pour qu’elle ne me laisse plus. Alors quand on a déménagé en Angleterre, j'avais neuf ans, je n'ai pas rechigné. J'avais trop peur qu'elle m'oublie pour vivre pleinement sa vie avec lui...
J’aime les livres, les études, les amis, les fêtes et, au fond, la justice et le bon sens moral. Un peu comme ce gryfondor que je viens de laisser derrière moi. Mais quelque chose me pousse toujours vers le mauvais choix, à montrer mes mauvais côtés et mon sale caractère. Cette même chose m’astreint souvent à la prudence, à la contre-attaque, et à jouer sur les apparences. Devant ma mère et mes grands-parents je ne suis que douceur incarnée, amour ronronnant, obéissance et tête d’ange. Avec mon père, j’ai tendance à être plus agressif ou à tout faire pour qu’il ne soit jamais fier de moi. Même s’il cherche ma reconnaissance ou mon affection. Ils travaillent tous les deux à Poudlard, et ce sont mes professeurs. Je crois d’ailleurs que mon père a tout fait pour que mes mauvaises actions ne soient jamais répétées à ma mère.

Alors autant prendre immédiatement la direction de son bureau, de toute manière une jolie beuglante va venir me convoquer d’ici quelques minutes.
Et j’ai horreur de perdre mon temps en détours inutiles...

Shiste, c’est le nom du léopard des neiges qui a élu domicile dans l’esprit de Braxton. Quoiqu’en réalité, on dirait qu’il était là depuis sa plus tendre enfance, qu’ils ont grandi ensemble. Braxton sentait qu’il y avait quelque chose d’autre en lui, quelque chose qui faisait parti de sa personnalité, qui lui procurait courage et résistance quand il en avait le plus grand besoin. Sauf qu’en ces instants, le jeune homme mettait cette force nouvelle sur le compte de ses propres réserves intérieures... Vous savez, cette volonté farouche qui peut nous animer lorsqu’on se sent au bord du gouffre, ces réserves que l’on puise au plus profond de nos êtres dans un dernier regain de vitalité… ? Aujourd’hui elle porte un nom.
Peut-être le léopard était-il présent depuis longtemps, attendant son heure. Ou peut-être qu’il est simplement apparu, comme par « magie », s’associant pour Braxton à quelque chose qu’il connaissait afin de mieux l’accepter. De toute manière, le serpentard prend la chose comme elle vient, essayant de temps à autres de se rassurer sur le bon fonctionnement de son cerveau. Sans compter que, comme le veulent les habitudes de sa race, Shiste est un esprit discret, qui reste en retrait et la plupart du temps silencieux dans sa timidité. Braxton n’a d’ailleurs pas encore découvert son existence… ça risque de lui faire un choc ! Le léopard quant à lui, n’agit que lorsque la situation l’exige réellement. Sans fuir le contact, il préfère éviter les mots inutiles et faire ressentir les choses, les faire vibrer au plus profond de son hôte. Car si leurs consciences semblent séparées de prime abord, tout deux se rendront bien vite compte qu’ils sont intrinsèquement liés… jusqu’à déteindre l’un sur l’autre ?